La couverture médiatique hallucinante qui a accompagné la sortie de l'iPad d'Apple pourrait nous faire oublier à quel point toute cette effervescence autour de la mobilité et de la communication est récente ! Qui se souvient encore du téléphone « bi-bop », sorte de cabine téléphonique portable, lancé par France Télécom en 1993 ? C'était le premier téléphone mobile, sorti bien avant l'explosion du réseau GSM en 1996...


17 ans plus tard, on dénombre près de 60 millions de téléphones mobiles en France, soit quasiment un par habitant ! 25 ans d'expérience dans la hi-Tech m'ont habitué à anticiper l'impact des mutations technologiques, mais sur ce coup là j'avoue être totalement abasourdi ... En moins d'une décennie, les téléphones mobiles sont passés du statut d'objets technologiques destinés aux professionnels à celui d'accessoires indispensables, venus s'ajouter au portefeuille et au trousseau de clé dans la poche droite du veston des hommes et au fond des sacs des femmes...
Avec les « Smartphones », véritables ordinateurs de poche, on vient de franchir encore un cap : l'iPhone d'Apple, leader du marché, vient de passer la barre des 2 millions d'unités vendues dans l'hexagone depuis sa sortie en 2007.
Le niveau de notoriété des marques qui conçoivent ces produits est aujourd'hui équivalent à celui des fabricants de téléviseurs ou de lave-linge dans les années 80. J'en veux pour preuve un récent sondage sur l'iPad d'Apple - sondage auquel Avanquest s'est associé - et qui montre que 82 % des français interrogés avaient entendu parler de ce nouveau produit (*). Je ne suis pas certain que les résultats auraient été aussi bons pour un constructeur automobile national...
Pourtant, face à cette explosion phénoménale, et alors des Français comme Matra ou France Télécom étaient parmi les premiers à entrer sur ce nouveau marché, on ne compte plus aucun fabricant hexagonal dans les leaders mondiaux de la téléphonie mobile !
Comment se fait-il que nos compatriotes, si souvent à la pointe de l'innovation dans le secteur des technologies, ne se retrouvent pas à l'arrivée lorsque les marchés explosent ? Est-ce uniquement affaire de design et de marketing ?
L'histoire du secteur du logiciel que je connais bien montre que le problème est ailleurs, et que les causes de cet échec sont très profondes...
D'abord, les faits : 27 ans après la première présentation par Microsoft de Windows en 1983, le marché du logiciel applicatif français pèse moins de 5 milliards d'Euros, sur un marché mondial de plus de 200 milliards d'Euros !
C'est clair, la France n'a pas su prendre le virage, et pour quelques belles réussites globales comme Ubisoft dans le jeu vidéo, Business Objects dans le logiciel pour entreprises (aujourd'hui racheté par SAP), voire Avanquest dans le logiciel grand public, la très grande majorité des éditeurs de logiciels français se situe sous les 2 millions d'euros de chiffre d'affaires...
Pour nos entrepreneurs du logiciel, les frontières de l'hexagone semblent constituer des barrières infranchissables, et 25 millions d'euros de revenus un plafond de verre impossible à briser !
La faute au piratage, cette maladie congénitale du numérique ? Certes, les français sont les champions mondiaux de la copie illégale avec des taux de piratage atteignant les 50 %, mais cela ne suffit pas à expliquer un tel décalage...
Le manque de talents ? On ne compte plus les français qui occupent des postes de direction dans la Silicon Valley en Californie, et pour avoir employé des ingénieurs de toutes nationalités, je peux garantir que nos compatriotes se placent très bien qu'il s'agisse de créativité ou de productivité...
Non rien ne manquait à la France pour se retrouver dans le peloton de tête de la hi-Tech mondiale, ni les entrepreneurs, ni les ingénieurs, ni les talents. C'est en réalité une barrière invisible, profondément culturelle, qui encore aujourd'hui limite nos capacités dans le numérique.
Un exemple frappant ? Il n'y a pas si longtemps, on pouvait sortir de l'ENA et prétendre aux postes les plus prestigieux de la grande administration française sans avoir jamais touché un ordinateur. Pas étonnant que nous ayons loupé le coche, avec aux manettes une génération entière de décideurs politiques totalement déconnectés de l'économie numérique, et ce pendant les deux décennies qui ont vu l'explosion des nouvelles technologies !
Autre exemple : si un petit état comme Israël peut détenir le record du nombre d'entreprises technologiques cotées au Nasdaq Américain, c'est dû au fait que les entrepreneurs et les pouvoirs publics de ce pays minuscule considèrent la globalisation comme une opportunité. En France, pays où exporter se dit encore « vendre à l'étranger », l'obsession du développement de l'emploi - entièrement centrée sur le sol national - constitue un frein majeur au soutien public à une industrie créatrice d'emplois mais totalement mondialisée...
En fait, tous les gouvernements qui se sont succédés depuis le catastrophique plan « informatique pour tous » de Laurent Fabius en 1983 se sont concentrés sur le développement des infrastructures, alors qu'il aurait été bien plus profitable de travailler sur l'évolution des mentalités !
Pourtant, je reste optimiste. Certes, beaucoup de retard a été pris, mais rien n'est jamais perdu car les métiers du numérique se réinventent sans cesse au gré des mutations technologiques, permettant ainsi l'émergence de nouveaux acteurs ex nihilo.
Déjà, la première barrière qui devait sauter, la barrière culturelle ne sera bientôt plus qu'un lointain souvenir : les nouvelles générations sont confrontées aux technologies depuis leur plus jeune âge, et elles n'auront plus les blocages qui ont empêché leurs aînés de prendre à temps le train de l'économie numérique.
Comment profiter de cette opportunité unique pour que la prochaine révolution technologique soit aussi la notre, et pour que la France ne reste pas le pays des génies méconnus ?
C'est à la fois très simple et très compliqué ! A mon sens, le préalable serait que toutes les parties prenantes, qu'il s'agisse des politiques, des syndicalistes, des enseignants comprennent que tout se joue déjà à l'école et à l'université, intègrent que ce marché ne peut être que mondial, et acceptent que grandir hors de nos frontières c'est positif !
Pendant qu'on y est il serait aussi souhaitable de faire admettre qu'un entrepreneur qui fait fortune, ce n'est peut-être pas si mal si finalement il crée de vraies richesses pour son pays ? Mais là j'en demande peut-être un peu trop à nos chers compatriotes ;-)
(*) Baromètre mensuel de l'économie BVA-Avanquest-La Tribune-BFM:
Baromètre de l'économie Vague 18 février 10.ppt
(*) iPad et iPhone sont des marques déposées Apple

From http://leconomiereelle.blogs.challenges.fr/ - Original post
10Feb2010